Le Programme de Mise à Niveau en Tunisie : Un dispositif à l’épreuve des transformations industrielles

Rédigé par Abdelaziz KHARRAT | 28 avril 2025

Financement et Startups

Le Programme de Mise à Niveau en Tunisie : Un dispositif à l’épreuve des transformations industrielles

 

 

Programme de Mise à Niveau (PMN)..

Une réponse stratégique face à un tournant économique… et un besoin toujours présent

Depuis l’indépendance, l’industrie tunisienne s’est développée sous l’impulsion d’un État stratège, qui a investi dans les infrastructures de base et favorisé la naissance d’un tissu productif national. Cette première phase a jeté les fondations d’une industrie à forte vocation locale, portée par une logique de substitution aux importations.

Mais à la fin des années 1980, le modèle s’essouffle. La crise économique de 1986, suivie par les réformes du programme d’ajustement structurel, a ouvert la voie à une nouvelle ère : celle de la libéralisation, de l’ouverture aux marchés internationaux, et de la montée en puissance de la concurrence.

Dans ce contexte, la Tunisie opte pour une stratégie d’intégration économique mondiale, concrétisée notamment par la signature de l’accord d’association avec l’Union Européenne en 1995. Ce virage exige alors des entreprises industrielles tunisiennes un saut qualitatif, une modernisation rapide et une adaptation constante à un environnement compétitif en mutation.

C’est dans cette dynamique qu’a été lancé le Programme de Mise à Niveau (PMN) : un mécanisme structurant, conçu pour soutenir les entreprises industrielles dans leur transformation technologique, organisationnelle et managériale.

 

Aujourd’hui encore, le PMN est actif. Il constitue l’un des rares dispositifs d’accompagnement industriel durable en Tunisie, avec une approche intégrée mêlant diagnostic, appui à l’investissement, formation et soutien à la qualité.

Pourtant, force est de constater que les besoins évoluent plus vite que les réponses disponibles. Beaucoup d’entreprises industrielles, en particulier les PME, peinent à accéder à des dispositifs de soutien adaptés à leurs enjeux actuels : acquisition d’équipements, automatisation, digitalisation, montée en gamme, développement de produits innovants…

À cela s’ajoute une difficulté persistante à mobiliser la recherche appliquée et l’innovation industrielle à forte valeur ajoutée. Le lien entre le monde académique et l’entreprise reste souvent fragile, alors que la R&D demeure dominée par une approche fondamentalement scientifique, parfois déconnectée des réalités productives.

 

Résultat : dans un environnement de plus en plus concurrentiel, les industriels tunisiens expriment le besoin urgent de mécanismes de soutien intégrés, durables et proactifs, à l’image de ce que représente — malgré ses limites — le Programme de Mise à Niveau.

 

Objectifs du Programme de Mise à Niveau : Adapter l’industrie tunisienne à la concurrence mondiale

Mis en place en 1995, le Programme de Mise à Niveau (PMN) visait à accompagner l’industrie tunisienne dans un contexte de transition économique et d’ouverture à la concurrence internationale. Plusieurs objectifs ont été assignés au programme, parmi lesquels :

  • Renforcer la compétitivité des entreprises industrielles, tant sur le marché local qu’à l’export.
  • Favoriser l’adaptation au changement, en dotant les entreprises de capacités de réaction face aux évolutions technologiques et commerciales.
  • Encourager la modernisation des outils de production, en intégrant les exigences de qualité, de productivité et de respect des normes internationales.
  • Stimuler le développement des ressources humaines, en accompagnant les efforts de formation, de gestion des compétences et d’organisation interne.
  • Soutenir l’intégration technologique, en promouvant l’usage de solutions numériques, de systèmes de gestion avancés et de nouvelles pratiques industrielles.

Ces objectifs s’inscrivaient dans une logique d’accompagnement à la transformation structurelle de l’entreprise industrielle tunisienne, dans un environnement de plus en plus concurrentiel.

 

Une structure institutionnelle dédiée

Pour piloter la mise en œuvre du PMN, une architecture institutionnelle spécifique a été mise en place, composée de deux organes principaux :

  • Le Bureau de Mise à Niveau (BMN) : créé par décret en 1995, il est chargé de la coordination technique et administrative du programme. Ses missions incluent la définition des priorités d’intervention, la sélection des projets, le suivi des plans d’action, ainsi que la coordination avec les partenaires institutionnels et les bailleurs de fonds.
  • Le Comité de Pilotage (COPIL) : il agit comme organe consultatif, chargé d’examiner les demandes d’adhésion, de valider les plans de mise à niveau et d’octroyer les aides. Il est composé de représentants de l’administration, du secteur privé, des syndicats et du secteur financier.

Sur le plan du financement, le programme s’appuie principalement sur le FODEC (Fonds de Développement de la Compétitivité), institué en parallèle en 1995. Ce fonds, alimenté par une taxe parafiscale, cofinance les investissements éligibles. Le PMN bénéficie également de l’appui de plusieurs partenaires internationaux, bilatéraux et multilatéraux.

Avant de partager mon avis, il est important de mentionner l'existence de la plateforme officielle du Programme de Mise à Niveau, accessible à l’adresse http://www.pmn.nat.tn/. Cette plateforme offre une vue d'ensemble sur les mécanismes du PMN, les critères d’éligibilité, ainsi que les formalités nécessaires pour bénéficier des dispositifs d’accompagnement.

 

💬 Décryptage par Abdelaziz :

Une lecture critique et constructive du Programme de Mise à Niveau

Ayant eu la chance de participer à plusieurs projets de Mise à Niveau (MAN) et d'Investissements Technologiques à Caractère Prioritaire (ITP) pour des industriels tunisiens dans différents secteurs, je peux dire que le Programme de Mise à Niveau (PMN) reste un des rares mécanismes durables d’accompagnement des entreprises. Si les résultats sont indéniables, je pense néanmoins que les défis actuels méritent qu’on revoie certaines de ses approches pour mieux répondre aux besoins d’un environnement industriel en constante évolution.

 

✔️ Apports notables mais inégalement ressentis

Le Programme de Mise à Niveau a permis à plusieurs centaines d’entreprises industrielles d'engager des actions structurantes : amélioration des processus internes, accès à de nouveaux équipements, certification qualité, intégration des technologies de l’information, réorganisation de la production ou encore développement de nouveaux marchés.

Ces résultats, bien que significatifs pour certaines entreprises, restent inégalement répartis selon les secteurs, les régions et la taille des structures bénéficiaires. Les grandes entreprises, mieux structurées et plus aguerries à l’élaboration de plans d’action, ont souvent mieux tiré profit du programme que les PME, qui représentent pourtant l’écrasante majorité du tissu industriel tunisien.

Autre élément important : le PMN a permis de poser les bases d’une culture d’amélioration continue au sein de l’industrie tunisienne. Cette dynamique, bien qu’encore fragile dans certains secteurs, constitue un socle utile pour penser les prochains mécanismes d’appui à l’industrie.

 

Le PMN : Un mécanisme à mettre à jour pour évoluer avec les défis de l'industrie moderne

Malgré les résultats positifs obtenus grâce au Programme de Mise à Niveau (PMN), plusieurs limites structurelles méritent d’être abordées pour rendre ce mécanisme encore plus pertinent face aux défis actuels :

  • Une approche encore trop traditionnelle : Le PMN reste centré sur des solutions classiques, comme l’acquisition de matériel et la réorganisation des processus. Il peine à intégrer pleinement des leviers d’innovation industrielle, tels que le design, la recherche appliquée et la R&D collaborative, notamment à travers des partenariats renforcés avec les structures de recherche et les centres techniques sectoriels.
  • Des délais de traitement trop longs : Par rapport aux exigences du marché et au rythme rapide de l'innovation, les délais de traitement des demandes restent trop longs. Cela décourage certains industriels, qui attendent souvent plusieurs mois pour bénéficier d'un soutien alors que les évolutions technologiques et les exigences concurrentielles imposent une réactivité immédiate.
  • Un soutien insuffisant aux startups industrielles et aux nouveaux modèles d’affaires : Alors que les startups et les modèles d'affaires innovants représentent un vecteur essentiel de dynamisme économique, le PMN ne les prend pas suffisamment en compte. En conséquence, ces jeunes entreprises, souvent plus agiles et réactives, peinent à bénéficier de l'accompagnement dont elles ont besoin pour accélérer leur croissance.
  • Primes d’assistance figées : Les primes d’assistance, notamment celles allouées aux journées/hommes d'experts, sont restées figées depuis longtemps et ne se sont pas adaptées à l'évolution des coûts réels. Elles ne couvrent plus efficacement les investissements nécessaires, notamment pour des projets tels que la mise en place de systèmes de management de la qualité (SMQ), .. Cette inadéquation limite non seulement l'efficacité des projets, mais également l'accès à des experts qualifiés, freinant ainsi la capacité des entreprises à tirer pleinement parti du programme.
  •  Un chevauchement avec d'autres mécanismes de soutien : Il existe une redondance avec d'autres dispositifs, comme ceux de la FTI ou ceux dédiés à l'efficacité énergétique. Ce chevauchement peut entraîner une confusion chez les entreprises, qui ne savent pas toujours quel programme choisir en fonction de leurs besoins spécifiques.
  • Méconnaissance du programme par les industriels : Un autre défi majeur réside dans la méconnaissance du programme de Mise à Niveau par les industriels, en particulier les petites et moyennes entreprises. La communication autour des opportunités et des critères d'éligibilité reste insuffisante, ce qui empêche un grand nombre d'acteurs économiques d'explorer et de bénéficier pleinement des avantages offerts. Une meilleure sensibilisation et une communication ciblée sont essentielles pour permettre aux entreprises de se saisir des leviers du programme.

Ce constat est aujourd’hui largement partagé. Bien que le PMN ait le mérite de perdurer et d’avoir permis plusieurs avancées significatives, il apparaît désormais comme un outil à consolider, à réactualiser et à compléter. Cela passe notamment par la mise en place de dispositifs plus souples, mieux ciblés et mieux alignés avec les exigences contemporaines des acteurs de l’industrie : industriels, bureaux d’études, experts métiers, structures d’accompagnement, etc.

 

Comme le rappelle souvent Peter Drucker, figure incontournable pour de nombreux leaders, décideurs et managers :

« Les entreprises qui réussissent sont celles qui savent voir les faiblesses comme des opportunités d’amélioration. »

C’est dans cet esprit qu’il convient d’aborder les limites actuelles du programme — non pas comme des entraves, mais comme autant de leviers pour repenser son fonctionnement, renforcer son impact et l’adapter aux nouveaux défis de l’industrie tunisienne.

Abdelaziz_KHARRAT

Abdelaziz KHARRAT

Expert en transformation industrielle

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